Les NP2F sont des enfants de la crise. Ou, du moins, c’est ce qu’ils affirment lorsqu’on leur pose la question. La crise, c’est bien évidemment celle de 2008, celle des subprimes, de la bulle immobilière et de la « Grande Récession », qui a frappé deux ans après la fin de leurs études à Paris. Une crise qui en France, dit-on, a façonné une architecture dans laquelle la forme s’efface au profit d’une valorisation des usages et des enjeux sociaux et climatiques. Mais qui ne suffit pas, à elle seule, à justifier l’éclosion de ce langage architectural épuré et débarrassé de toute rhétorique que la critique a voulu qualifier de « néo-réalisme français ». Face à l’hétérogénéité des approches qui, à bien y creuser, apparaît derrière un langage seulement en apparence uniforme, cette production architecturale mérite d’être analysée au cas par cas. Tout en reconnaissant ses points communs : avant tout une exacerbation des tensions et des enjeux économiques, sociaux et climatiques qui se traduit par un langage architectural à la fois poétique et ancré dans la contemporanéité.
Certes, dans l’architecture de l’agence fondée en 2009 par François Chas, Nicolas Guérin, Fabrice Long et Paul Maitre-Devallon, les arguments d’économie de moyens jouent un rôle déterminant. Sous l’acronyme de NP2F ces jeunes architectes du Sud de la France livrent cette année, aux quatre coins du pays, un grand nombre de projets d’envergure, qui éclaircissent et formalisent les positionnements théoriques, déjà esquissés au cours des dernières années par quelques projets de taille plus réduite. Leur origine géographique – deux sont issus du centre-ville de Marseille, deux de Nice – pourrait d’ailleurs être un bon point de départ pour tenter une analyse de leur pratique architecturale. Villes au climat doux, baignées par la Méditerranée, qui charrie des échos de culture classique et une tradition dans l’usage de l’espace public, ces contextes ont participé à forger la dimension profondément urbaine de leurs projets. Un intérêt, celui pour les interactions entre architecture et espaces de la ville, que la proximité à l’architecte Djamel Klouche et le passage chez l’AUC – agence qui aborde les questions architecturales plutôt à grande échelle – n’a pu qu’accentuer. « Faire entrer la ville à l’intérieur des bâtiments » a été, dès lors, la devise qu’ils se sont donnée.
Différents par fonction et taille, bien que typologiquement similaires, deux projets récents viennent formaliser les principes qui guident et structurent le travail de l’agence. À Bordeaux, un centre sportif vertical qui empile, sur de simples plateaux ouverts sur la ville, des espaces pour différentes activités sportives. À Marseille, un nouvel établissement public qui rassemble, en plein centre-ville, les écoles d’architecture, de paysage et d’urbanisme, jusque-là éparpillées dans la métropole.
Chaque bâtiment a sa personnalité, liée au positionnement des poteaux par rapports aux dalles, aux différents degrés de transparence, au rapport qu’il instaure avec son contexte, qui ne pourrait être plus différent. Mais le principe de construction est le même : une simple ossature en béton armé, pensée pour offrir des espaces généraux traversées par la lumière et l’air, pour démultiplier les vues depuis l’intérieur, pour relier les intérieurs à la ville, au ciel et au paysage. L’intention est palpable lorsque l’on déambule le long des coursives ombragées de l’école de Marseille, sur lesquelles les étudiants s’agglutinent par petits groupes pour déjeuner ou travailler. Bien que l’on soit désormais en octobre, les portes des ateliers restent grand ouvertes et les espaces extérieurs fourmillent de jeunes réunis autour d’une table ou d’une maquette. Des professeurs discutent, café à la main, autour d’une jardinière encore dégarnie. Un groupe d’étudiants est allé chercher un peu de fraîcheur au bout de l’escalier qui descend à l’auditorium. Les quelques chercheurs qui déjeunent seuls sur l’énorme terrasse du bâtiment qui leur est consacré semblent tout droit sorti d’un film de Nanni Moretti.
Le choix de s’orienter vers de simples ossatures – ou « étagères » comme les définissent souvent les architectes de NP2F – n’est pourtant pas seulement fonctionnel. Il a également l’avantage de maîtriser les coûts, facteur important compte tenu du prix du foncier en ville et de la dimension publique ou semi-publique des commandes. Avantage de plus, de taille pour les NP2F, il active un double rapport urbain, les activités qui s’y déroulent se donnant à voir vers l’extérieur et l’espace urbain entrant à son tour à l’intérieur des deux bâtiments. Ces qualités se révèlent, encore une fois, lorsque l’on fait physiquement l’expérience des volumétries ouvertes et accueillantes, des perspectives éclatées, des transparences de leurs bâtiments. À Bordeaux, bien que la Cathédrale des Sports soit sortie de terre dans un quartier encore en friche, le bâtiment possède déjà tous les atours d’un véritable catalyseur urbain. Les sportifs et les curieux ne s’y sont pas trompés, qui viennent en nombre s’y dégourdir les jambes. François Chas, qui m’accompagne le long des six étages se réjouit de cette activité qui, confirme la directrice à la fin de la visite, « est déjà très importante, alors que le quartier n’est pas encore vraiment sorti de terre ».
Cet intérêt pour le vide – pour l’air, la lumière et l’espace, plutôt que pour la matière et l’enveloppe qui le délimitent – s’inscrit par ailleurs dans une plus large réflexion sur les qualités spatiales et climatiques de l’architecture qui caractérise le débat architectural français contemporain. Les stratégies adoptées par les NP2F renvoient en effet avant tout à l’héritage de Lacaton & Vassal (agence par laquelle l’un des associés est d’ailleurs passé). En premier lieu pour une certaine philosophie du « plus avec moins » et pour la transposition, en architecture, de techniques d’autres domaines (la façade du centre sportif de Bordeaux est constitué, par exemple, d’un système de filets issu de l’architecture agricole). Mais aussi par un désintérêt pour la forme en tant que concept en soi. « La forme aujourd’hui, c’est la ville qui la donne » synthétisaient à ce sujet Anne Lacaton en 2019 en référence aux règlements urbains et aux contraintes des sites de projet.
L’application de stratégies climatiques passives telles que la ventilation naturelle, la protection des ouvertures, l’utilisation de l’inertie thermique du béton traduit, quant à elle, une approche à la question environnementale qui repose plus sur la sobriété de la construction que sur l’emploi de matériaux labellisés comme « écologiques » ou sur le recours à la technologie. Cette quête d’une architecture durable par ses caractéristiques plutôt que par ses dispositifs n’est pas sans rappeler les positions défendues depuis plusieurs années par Philippe Rahm. Basé à Paris, cet architecte suisse prône, en effet, le retour à une architecture dessinée avec des « outils climatiques » et non plus seulement culturels. Face au réchauffement climatique et à la pollution des espaces urbains, ne cesse-t-il de répéter, il est indispensable de dessiner nos bâtiments et nos villes par rapport aux mouvements de l’air, aux phénomènes météorologiques, aux propriétés des matériaux que sont la radiation, la convection, la conduction, l’émissivité. Tout comme dans les projets de NP2F, la question du « vide » d’une architecture est mise ici au premier plan, au détriment du « plein », qui aura pourtant dominé, à partir du « jeu savant, correct et magnifique des volumes sous la lumière » de Le Corbusier jusqu’aux narrations postmodernes, l’histoire de l’architecture du siècle dernier.
L’architecture de NP2F ne peut se réduire, toutefois, à son austérité formelle. Il suffit d’expérimenter leurs bâtiments pour comprendre que cette obsession qu’ils ont pour les trames régulières est loin de les enfermer dans une quelconque neutralité ou, pire encore, banalité. Il arrive en effet parfois que ce vide, que des trames à première vue régulières de poteaux, de poutres et de dalles délimitent, soit ponctué d’éléments autonomes, de surprises, qu’au détour d’un seuil ou d’une colonne, impriment une dynamique particulière à l’expérience de l’espace. Une volée d’escalier monumentale ou un demi-niveau à Bordeaux, des trémies circulaires ou de fins velum en béton à Marseille. Ces squelettes qui les fascinent, interrompu par des créations irrationnelles ou émerveillantes, sont les creusets qui libèrent les forces de l’imaginaire et permettent un nombre infini de possibilités. Les références s’y content par dizaines. On pense à Paulo Mendes da Roche dans son centre sportif et culturel SESC 24 de Maio à Sao Paulo, où les activités s’empilent jusqu’à l’acmé constitué par une piscine panoramique (remplacé à Bordeaux par un practice de golf). On pense aussi aux grands bâtiments publics de l’architecture classique, grecque et romaine, au Parthénon, au Forum et aux agoras, avec lesquels l’arc de triomphe XIXe qui fait face à l’école de Marseille fait le lien. Et puis à Le Corbusier : son esprit souffle entre les pilotis du centre de Bordeaux, le long du muret incurvé sur la terrasse des étudiants de l’école de Marseille ou encore sur celle des professeurs qui, comme à la Cité Radieuse, laisse filer le regard vers le bleu de la mer et les principaux monuments de la ville.
S’affranchissant d’un certain fétichisme pour la matière et pour les détails hyper-soignés qui caractérisent, par exemple, le travail d’autres agences comme Bruther, les architectes de NP2F épousent une philosophie, propre à plusieurs de leurs confrères, qui refuse l’idée de bâtiment comme sculpture ou icône et qui privilégie l’usage à la forme. À travers leurs projets ils requestionnent les standards et proposent des solutions intelligentes et pondérées aux défis contemporains. Sans tomber dans un pur utilitarisme. La preuve : une multitude de détails poétiques sans être anecdotiques. Des inserts en pierre dans les surfaces en béton, des petits tapis de carreaux ou des structures métalliques élancées qui rappellent, en vrai, les collages, les axonométries et les isométries par lesquels ils se sont fait connaître il y a maintenant plus de dix ans.
Article paru sur le numéro 71 de la revue argentine PLOT (octobre-novembre 2023) accompagné d’un reportage photo de Javier Augustín Rojas.
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