Alors étudiant en architecture à Toulouse, Benjamin Coustès – fondateur de l’agence Littoral créée à Bordeaux en 2019 –, laissait son regard « glisser sur la ville, ses murs et ses signes pour photographier ce qui débordait du cadre ». Pour l’exposition Nouvelles saisons, autoportraits d’un territoire, l’exploration des rapports entre ville et photographie prend une nouvelle tournure. L’architecte se propose de coller des images de l’intérieur de l’un de ses projets dans la métropole bordelaise pour les afficher dans la rue. La concrétisation de cette intuition prendra la forme de dix affiches imprimées chacune en 20 exemplaires. Les cinq premières sont des photographies d’une échoppe densifiée par l’intérieur. Les cinq autres portent des mots « choisis pour leur force et leur précision : économies, générosité, héritage, ressources, savoir-faire », que l’architecte considère comme des pistes en écho à son travail.
La réhabilitation de la maison Fieffé (2023), menée avec des moyens limités, double la surface habitable initiale en tirant parti du volume existant. L’échoppe sombre et cloisonnée devient un logement traversant, fluide et lumineux, sans extension ni surélévation. Le projet repose sur le curage du second œuvre, la création d’une mezzanine et l’ouverture d’une trémie diffusant la lumière jusqu’au sous-sol. L’escalier déporté en façade structure l’espace et affirme sa présence ; les matériaux simples, robustes et peu coûteux révèlent la structure d’origine. Pour Benjamin Coustès, « une réhabilitation inventive peut répondre aux enjeux contemporains de densification tout en respectant la structure initiale. La lecture économique du bâti existant devient alors une ressource. »
Courant 2025, l’architecte choisit les itinéraires à vélo qui lui permettront d’afficher sur les quelques 147 supports de la métropole. Cette série de collages se déploie sur des panneaux en acier galvanisé, au format A0 vertical, souvent disposés en binômes. Leurs emplacements révèlent l’hétérogénéité de la ville : un Abribus, une façade de boulangerie, une ZAC, un lotissement. Après avoir préparé ses interventions en plan, l’architecte active les surfaces verticales des panneaux par le dialogue aléatoire entre mot et image. La plupart du temps, il colle en silence, seul. Parfois, des passants s’arrêtent et s’interrogent : c’est une maison ? C’est légal ? Cet affichage pourrait être considéré comme un léger détournement de l’interdiction faite aux architectes de faire de la publicité. Surtout, ces collages interrogent sur la place du projet dans la ville, telle qu’elle est habitée et vécue. Leur présence s’avère éphémère, au plus, une journée. Ils sont vite recouverts par les afficheurs publicitaires professionnels, au rythme effréné.
« L’acte photographique – frontal, simple, capté à l’iPhone – constitue dès lors le seul moyen de conserver une trace de cette action, assumée comme fugace et contextuelle. C’est une manière d’archiver, à la marge, ce que la ville ne retient pas » explique l’architecte. Ces « images d’images » sont alors installées dans la grande galerie d’arc en rêve. Un double support métallique, le seul qui ne sera pas effacé, conclut la série. « Ce qui était dehors revient dedans, le provisoire se fait trace, et le jeu initial se mue en projet. » Pour Benjamin Coustès, son action est un manifeste qui résiste à la disparition du commun. Les simples gestes d’afficher, photographier et rendre visible reconquièrent la ville, hors des critères marchands et des affirmations portées par les institutions qui définissent ce qui compte ou a de la valeur. Afficher le marginal, le domestique et l’éphémère, c’est ouvrir le champ de définition du visible, du possible et du commun.