Maison comme emportée par une tornade, soufflée gonflée par un vent violent qui en a dilaté le volume intérieur, balayée en un coup de vent, abattue en un coup de pelleteuse. Il n’en reste plus que la ligne d’héberges et le tracé des cloisonnements.
Masure bricolée brinquebalante, s’appuyant sur ses mitoyens comme une vieille dame sur ses cannes.
Son épure en raconte la misère, une misère qui s’accroche et s’agrippe aux murs voisins. Ses griffes sont trop ancrées dans la matière pour disparaître totalement – à moins de tout raser.
La tabula rasa pour éradiquer l’indigence.
Paysage lunaire, cratères de boue de gravier de flaques.
Le terrain vague comme une nappe sur laquelle sont jetés au hasard des volumes de toutes tailles. Tournés vers la gauche vers la droite sans avant ni arrière.
Cube tout neuf, encore emballé dans sa housse de protection.
La façade transcrit sur-fidèlement le calepinage dessiné en quelques clics des années auparavant. Je n’ai même pas envie d’utiliser le lexique consacré – nu du mur, trumeau, baie. Mais plutôt : Duplicate, align, distribute. Freeze layer.
De tiers en coin, l’ancien tri postal Armagnac, qui sera bientôt découpé en tranches, haché menu, passé à la Javel, car sa masse effraie. « On veut bien vous garder, mais pas si gros. Faites un effort. » Il n’en restera plus qu’une présence fantomatique reconnaissable au porche en godet et au béton rainuré.
Entre deux poteaux électriques temporaires, lignes de vie du chantier, jaillit un lampadaire flambant neuf. À coup sûr, il ne fonctionne pas aujourd’hui. À coup sûr, il ne fonctionnera pas demain, lorsque les travaux de voirie seront achevés et le réseau rendu opérationnel.
Échouée au premier plan, l’épave d’une BM. Go-fast ou voiture volée, incendiée pour faire disparaître ses traces ou dans une flambée de colère, qui sait !
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Une forêt d’immeubles jaillit de terre comme des semis au printemps, pressés de voir le jour, mus par une énergie intrinsèque inarrêtable, après une gestation longue et invisible. Les grues tournent dans le ciel, les étages s’empilent les uns sur les autres dans un film en mode « avance rapide ». Le béton finit à peine de sécher dans les banches que les menuiseries extérieures sont déjà installées, le carrelage posé, les cuisines montées. Pas le temps, pas le temps. Les fameuses pénalités de retard pour chaque jour en trop dans le planning. Le temps si élastique en phase études, les multiples réunions de mise au point du programme, d’exploration de variantes, d’ajustement des plans de vente, s’est envolé. La conduite de projet adopte trop souvent une allure saccadée, tantôt ralentie par des atermoiements sans fin, tantôt accélérée de façon insensée, au mépris des délais incompressibles des prestations intellectuelles et de l’exécution des ouvrages.
Demain, propre comme un sou neuf, le nouvel ensemble sera livré, photographié, inauguré, publié sur les réseaux sociaux et les sites internet institutionnels seront actualisés. Les clefs seront tendues aux occupants, les entreprises lèveront les dernières réserves, les DGD seront établis et les chefs de projets démarreront l’APS d’un programme mixte d’une autre ZAC.
Mais à quel moment une opération d’aménagement devient-elle un quartier ? Lorsque le gérant de la supérette du « socle actif » bavarde avec ses clients ? Lorsque les baliveaux de la sente paysagée se transforment en houppier diffus ? Lorsque les occupants connaissent le nom de leurs voisins et que leurs enfants se donnent rendez-vous à l’aire de jeux ? Quel est le temps de la ville ?