Le FIFAAC (Festival International du Film d’Architecture et des Aventures Constructives), porté par l’association éponyme, a pris la suite du Fifarc, intégré au festival culturel Sigma (Bordeaux de 1965 à 1996). La mise en avant des « aventures constructives » illustre la volonté de ses organisateurs de déborder du seul film d’architecture pour programmer courts et longs métrages où « ceux qui filment la discipline la surlignent, en particulier par des fictions qui se rattachent plus fortement au monde du cinéma que ne le ferait le seul documentaire » explique Isabelle Ducos, présidente de l’association. Pour son dixième anniversaire, trois événements se sont succédé. Du 26 au 28 septembre, à l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine, des projections tout public sur le thème de l’eau ont été organisées dans une salle de cinéma mobile, un camion garé sur le pont Simone Veil – première programmation événementielle sur l’infrastructure. La compétition internationale a eu lieu du 3 au 5 octobre au cinéma La lanterne à Bègles ; suivie de projections-débats autour de l’architecture du quotidien, pour les Journées Nationales de l’Architecture.
La compétition proprement dite s’organise à partir d’une pré-sélection de films d’animation, courts et longs métrages, opérée par les membres de l’association, notamment Dominique Noël, Bruno Gerbier et Jean-Marie Bertineau. Les sources – des films de moins de deux ans – proviennent d’envois spontanés de réalisateurs et de distributeurs et de repérages, notamment au festival International du Film Documentaire de Biarritz. Ce premier « tamis vise à s’éloigner des longues monographies d’architectes pour se tourner vers des projections qui font la part belle à l’engagement politique et à la force du collectif » estime Isabelle Ducos.
Le jury de l’édition 2025 s’est réuni autour de l’architecte et cinéaste Karina Dana, sa présidente, aux côtés de laquelle se tenaient la critique d’architecture et autrice Emmanuelle Borne, le cinéaste Damien Faure et Xavier Clarke de Dromantin, inspecteur des patrimoines et de l’architecture pour le compte du Ministère de la culture. Les quatre membres ont passé deux jours dans les salles obscures, confrontant leurs sensibilités et débattant pour faire émerger une compréhension commune de ce que le cinéma peut dire de l’espace habité. Comme l’explique Karine Dana, « un film d'architecture fonctionne en tant que tel quand je me sens spectatrice-habitante. Aussi, j’attends que le regard soit celui d’un “architecte” dans la construction des plans et la grande attention portée à ceux qui sont filmés, tout comme aux lieux. Enfin, un film d'architecture doit aussi résister à la projection pour durer encore, le lendemain et les autres jours, continuer comme un film intérieur. »
Les films primés mettent cette sensibilité en avant. Ainsi, Et si le soleil plongeait dans l’océan des nues (Wissam Charaf, France-Liban, 2023, 20’), lauréat de la catégorie court métrage, mettait en scène Raed, agent de sécurité d’un chantier qui doit empêcher les promeneurs d’accéder au front de mer. L’occasion de rencontres singulières et oniriques, dont le décalage dénonce la mainmise du pouvoir mafieux sur un bien commun : l’accès à l’eau. « C’est un film très complet et poétique, efficace, au caractère surréaliste et absurde. Son humour bien dosé joue avec l'espace, faisant penser au cinéma de Charlie Chaplin ou Buster Keaton. Le rapport aux cadres et aux plans frontaux exprime très bien le chaos de la ville méditerranéenne » explique le jury.
Dans la catégorie long métrage, Ouvidor (Matias Borgström, Brésil, 2023, 1h 14’) a reçu une mention, touchant le jury par l'énergie qui se dégage de ses plans et la mise en avant de la vacance de bâtiments au sein des métropoles. Le film retrace six années d’occupation d’un immeuble abandonné de 13 étages à Sao Paulo par 120 artistes de différentes nationalités, devenant le théâtre d’une lutte collective mêlant créativité, résistance et tensions quotidiennes. « Il s’agissait de révéler la nécessité de remettre de la poésie dans la ville et d'habiter par l’art en mettant en lumière la démarche urbaine portée par les occupants » explique le jury.
Le grand prix a été décerné à Forêt rouge (Laurie Lassalle, France, 2025, 1h30’) dans lequel la Zone à Défendre de Notre-Dame des Landes se voit bouleversée par l’abandon du projet d’aéroport. La forêt se transforme en territoire de lutte et en refuge pour le futur, les idéaux et les contradictions se confrontent, face à la répression de l’État. Pour le jury, « ici, la force de la forme cinématographique est une évidence. La réalisatrice embarque l'architecture comme sujet, ne la cantonnant pas à sa seule expression pour lui donner une dimension protéiforme. La liberté et la légèreté de certains plans, lors des moments de tension, nous place en situation de contemplation active. La distance face au sujet traité – le politique, le militantisme et l’esthétique – s’éloigne des clichés propagés par les médias. »
Avec cette compétition biennale, « le film célèbre la puissance de l’art comme outil de revendication et d’unité, tout en dévoilant les défis de collectifs en quête de reconnaissance et de liberté » pointe Isabelle Ducos, qui salue « un cinéma qui sait se faire l’écho des changements de regards d’une société et de l’évolution des territoires ». Architectures et aventures constructives étaient à l’honneur, certes, sans oublier le paysage, par exemple avec la projection de Le printemps des jardiniers (Olivier Comte, France, 2025, 52’), récit d’un personnage passionné qui travaille en parallèle à son jardin et à l’entretien de celui dessiné par Gilles Clément pour les Salines d’Arc-et-Senans.
Ou l’impact de l’urbanisme sur l’histoire d’une société, avec The Flats (Alessandra Celesia, Irlande-France-Belgique, 2025, 1h54’), « film superbe d’un point de vue cinématographique qui montre les suites du conflit en Irlande du Nord et le lien entre politique et formes du logement » estime la présidente du FIFAAC.
Deux autres prix étaient décernés en parallèle : celui de l’association des Archi-V, qui a choisi Schindler–Space Architect (Valentina Ganeva, États-Unis, 2024, 1h30’), documentaire consacré à l’œuvre de Rudolph M. Schindler, pionnier de l’architecture moderne relativement peu connu en France. Le prix des écoles spécialisées (jury d’étudiants de l’École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Bordeaux et de CinéCréatis, école de cinéma et des métiers de l’audiovisuel) a été attribué à Et si le soleil plongeait dans l’océan des nues cité plus haut. Courts et longs métrage primés ou avec mention se sont vus attribuer un trophée, conçu par Eunhye Kim et Subin Park, étudiantes de l’École des Beaux-Arts de Bordeaux.
Il est difficile de pouvoir visionner des films consacrés à l’architecture en dehors des compétitions et des festivals, comme celui de Porto (Arquiteturas Film Festival, dont arc en rêve était l’institution invitée en juin 2025), Prague (Film and Architecture Festival, 1er au 6 octobre 2025) ou encore de Rotterdam (Architecture Film Festival, prochaine édition du 7 au 11 octobre 2026). Pour autant, la projection en salles offre souvent l’occasion d’échanges avec les équipes ou de débats. À défaut, certains films peuvent être programmés sur Arte ou dans certaines salles d’arts et d’essai.