L’atelier MicromegasLab voit le jour en 2011 au moment de la fusion des instituts supérieurs d’architecture La Cambre et Horta. Lors de cette intégration au sein de l’ULB, l’atelier s’inscrit dans le réseau d’échanges Erasmus Mundus. Nous décidons alors d’articuler pédagogie et recherches autour du phénomène métropolitain. Pourquoi les villes se créent-elles ? Comment évoluent-elles ? Est-il possible de comprendre leur développement éminemment complexe, et de les rendre plus écologiques ? Même si nos cultures et nos habitudes semblent parfois diamétralement opposées, nos villes partagent une manière relativement similaire d’évoluer, de s’adapter, d’échanger et de se connecter.
L’atelier devient un support d’échanges internationaux avec une série d’études sur les villes de Casablanca, Sarajevo, Tokyo, Shanghai, Rio de Janeiro, Séoul, Hong Kong, New Delhi, Detroit ou Miami. Si le résultat de ces voyages prend la forme de projets d’architecture, l’atelier devient également un laboratoire pour mettre en place une méthode et un enseignement singuliers. L’analyse, le diagnostic et la synthèse de phénomènes urbains stimulent l’envie, l’imagination et la créativité nécessaires à la production du projet d’architecture. En 2020, la pandémie marque la fin de ces échanges internationaux. Le monde freine volontairement toute forme de mobilité pendant une longue période. Nous adaptons l’atelier vers l’étude de villes flamandes – Alost, Gent, Anvers, Malines et Louvain –un eldorado d’architectures et de planifications urbaines, situé juste de l’autre côté d’une frontière linguistique. Après cette période de remise en question, nous nous redirigeons vers les villes européennes, en commençant par la France. Après Dunkerque et avant Marseille (2025-2026), il s’agit d’étudier Bordeaux, illustrée par la sélection de projets d’étudiants insérés dans l’article qui suit.
Quelle est l’identité bordelaise ? Lors de nos recherches avec les étudiants, cette question portant sur l’identité est un thème récurrent. Les métropoles contemporaines doivent a priori se démarquer, mettre en avant une forme d’unicité, claire et souvent caricaturale, dans le but de plaire au premier abord ; de séduire de manière instantanée. Cette identité repose souvent sur la fabrication assez artificielle d’une image qui se révèle rapidement être un mirage. En architecture, cela se traduit par la construction d’un bâtiment « objet » facilement reconnaissable. Expliquer la complexité de ce phénomène demanderait plus de temps, il est toutefois important de constater qu’il est généralement issu d’ambitions économiques. Créer une identité à tout prix se révèle paradoxalement souvent être un piège. Pour se rendre admirable et attirer projecteurs et flux financiers, les villes se fourvoient dans une image qui tend à détricoter les réelles spécificités de ses lieux. Elles uniformisent, aplanissent et masquent la complexité, la diversité et l’hétérogénéité qui font la richesse de nos fourmilières.
Bordeaux n’échappe évidemment pas à cette volonté de créer sa propre carte d’identité pour attirer les regards nécessaires à son développement, son renouvellement et son entretien. Notre atelier se fonde alors sur une stratégie d’écrémage des lieux communs sur lesquels repose cette identité pour pouvoir s’en éloigner en cherchant des spécificités dans des lieux moins connus. Ce n’est pas là une volonté d’originalité, mais plutôt un intérêt pour la découverte, avec les étudiants, des réelles singularités d’une ville. Aller fouiller la réalité dans des endroits moins rangés, plus complexes, métissés et souvent hétérogènes. À Bordeaux, les grands navires de croisières, par exemple, illustrent bien la nécessité de consommation facile de la ville. Si pour certains, elle se résume à sa Cité du Vin, ses vignes et ses canelés, la métropole se compose également de carrières de pierre arrivées en fin vie, d'églises abandonnées transformées en parking, de dessous d’ouvrages d’art aux espace publics ambigus, de supermarchés de périphérie désuets devenus les derniers lieux de la socialisation, de châteaux brûlés1 aux vignobles arrachés à flanc de coteaux, de parcs de recyclage coincés entre deux ponts, de hangars industriels reconvertis, d’immeubles-parkings vides au centre de campus universitaires ou encore de logements sociaux, autant d’espaces hétérogènes et riches de signification.
La recherche d’identité vient transformer en profondeur des zones populaires dont le tissu urbain est souvent trop fragile pour poser de grands objets à côté d’autres grands égos. Les façades lisses des rez-de-chaussée souvent trop étanches démolissent la notion même d’espace public. Il est évident que les villes sont constamment à flux tendu pour maintenir un système économique permettant à toutes et à tous d’échanger du savoir, des matières, des idées. Cependant, ne faut-il pas être attentifs à ce que cette recherche ne transforme pas la ville en un lieu générique, vidé de son sens et de son authenticité ?
Après avoir exploré la question de l’identité, il convient d’expliquer la méthode pédagogique qui sous-tend notre démarche. Cette dernière a peu à peu évolué vers la volonté de remettre le dessin à la main au centre des outils de recherche. Peut-être que cela repose sur une nouvelle nécessité d’éloigner la machine, parfois trop présente dans nos enseignements ? En lien avec la volonté de replacer la complexité sur le devant de la scène, l’atelier vise, par le dessin, à éloigner l’uniformisation numérique et à réintroduire la richesse de l’ornement et de la vibration de chacune et chacun. De plus, nos voyages font partie intégrante de notre enseignement. Ils aident à faire ressortir les spécificités d’une ville, sa complexité, ses tensions ou ses séquelles, à apprendre à la comprendre, l’apprivoiser, même dans ses bas-fonds urbains, et à trouver des manières de la faire évoluer par le biais du projet d’architecture. Deux voyages ont rythmé l’année des 60 étudiantes et étudiants inscrits. Le premier, fin octobre 2024, a permis la découverte de Bordeaux et de rencontrer une série d’experts et d’acteurs de terrain, afin d’éveiller la curiosité autour des différentes thématiques et singularités de la ville. Chacune et chacun doit réaliser chaque jour un dessin à la main au format A5. Cet exercice est libre de toutes consignes. Ensuite, au format A1, de grands dessins de cartes à l’échelle territoriale tentent de mettre en évidence des spécificités urbaines. D’autres grands dessins explorent et illustrent des détails techniques issus de réalisations contemporaines ou historiques. Cette approche du territoire nous plonge au cœur de la réalité, dans la matière même. Comment définir un détail architectural ? Et comment ce détail peut-il, à son tour, définir l’architecture ? Quelle est sa contribution à l’esthétique, à la fonctionnalité et à la durabilité d’un bâtiment ? Ces différentes familles de recherches, aux échelles et formats différents vont peu à peu servir de guides à de grandes balades urbaines hors des sentiers battus.
Le second voyage, organisé fin février 2025, consistait en un arpentage plus fin de la ville avec un parcours atypique qui reliait chaque site retenu par les étudiants. Ces visites permettaient de voir et de comprendre la ville de façon inédite : ni les habitants, ni les touristes ne parcourent d’aussi longues distances traversant quartiers résidentiels, zones industrielles, périphéries, zones touristiques et carrières de pierre. Ces deux voyages sont des moments d’études inhérents à la méthode d’apprentissage. Toutes les expérimentations vont finalement se rejoindre in situ au sein de projets d’architecture qui s’implantent dans des lieux qui résonnent avec les recherches. À l’image des grandes coupes urbaines que faisait Ignasi de Solà-Morales i Rubió dans le territoire pour le comprendre et le soigner, l’atelier utilise le projet d’architecture comme des aiguilles d’acupuncture urbaine, dont l’histoire se dénoue dans des territoires invisibilisés.
- Référence au domaine du Grand Dragon à Bouliac. ↗