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  • La Cathédrale des sports et ses usages métropolitains

  • D’une situation périphérique à une position centrale

  • Fabrizio Gallanti

Livrée en 2023, la « Cathédrale des sports » de Bordeaux, comme la nomment les architectes de l’agence NP2F qui l’ont conçue, ou l’« UCPA Sport station », telle s’appelle désormais, rassemble sur 15.000 mètres carrés répartis en six niveaux de multiples activités sportives, ludiques et de loisir. À l’occasion de la présentation de la maquette du projet qui domine le nouveau quartier de Brazza et de son film associé dans Nouvelles saisons, autoportraits d’un territoire, Fabrizio Gallanti signe une critique vibrante de son architecture dont le rôle dépasse la fonction pour former le seul espace public dynamique de la zone.

Lorsque les vagues se heurtent à un quai ou à une digue, la matière s'accumule, flottant au-dessus de l'eau bercée. Des morceaux de polystyrène, des branches, des sacs en plastique multicolores, des bouées abandonnées, des bouteilles vides et parfois des poissons morts restent coincés entre les oscillations de l'eau et l'obstacle au-delà duquel ils ne peuvent plus avancer. Si nous levons les yeux au-delà du rivage, vers l'horizon, la mer semble être une surface propre et plutôt lisse, qui tangue lentement. Les déchets flottants ressemblent à un résumé accumulé de tout ce qui aurait pu être suspendu au loin, dans l’eau, et qui a dérivé jusqu'au rivage. La frontière entre le liquide et le solide semble intensifier et cristalliser les qualités de l'eau salée, révélant l'hétérogénéité des composants qui y fluctuent.

Cathédrale des Sports, Bordeaux, NP2F, 2023.
Cathédrale des Sports, Bordeaux, NP2F, 2023. / © Antoine Espinasseau

La Cathédrale des sports se situe à la limite d'un nouveau quartier résidentiel de Bordeaux nommé Brazza, où près de 4.800 nouveaux logements sont en cours de construction. Elle agit comme une barrière contre l’océan en rassemblant, combinant et intensifiant en un seul bâtiment les relations spatiales qui, dans le quartier alentour, semblent rares et parfois trop simplistes.

En effet, il y a plus de complexité, de superposition de fonctions, d'entrelacement d'espaces publics et privés, de richesse tridimensionnelle - à travers différents étages et niveaux - dans la Cathédrale des sports que dans tout le reste du quartier.

Son positionnement, à l'extrémité d'hectares d'anciens terrains industriels, lui permet d'amplifier les interactions qui ne sont pas assez fortes dans l'ensemble du secteur: c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles elle est bondée d'utilisateurs.

Le plan général de Brazza est basé sur une juxtaposition assez grossière de figures et de terrains. Les logements ressemblent presque aux maisons caricaturales et solitaires du jeu de Monopoly, dispersées sur des parcelles géométriques, dont on ne sait pas toujours si elles sont accessibles au public ou défendues par des clôtures, et toujours délimitées par des rues parallèles. En plan, cela ressemble à une répétition d’un même « tour » où trois ou quatre minuscules blocs de bois ont été placés sur une parcelle rectangulaire qui pourrait être nommée « avenue de l’Océan » ou « rue des Vignes », à l’image du célèbre jeu de société.

À l'heure actuelle, avant que la zone ne soit entièrement habitée et occupée, il est difficile de déchiffrer au sein du quartier les différents degrés, de l’espace intime à l’espace public. Autrement dit, ce que les architectes de Team X tels qu'Alison et Peter Smithson ou Aldo van Eyck essayaient d’explorer, soit par le concept de « clustering » (phénomène de grappes), soit par la lecture des différents seuils spatiaux urbains, à travers différentes cultures. À Brazza, soit vous êtes « à la maison » – dans votre appartement, niché à l'intérieur de l’un des blocs, le plus souvent privé de balcon ou de terrasse, soit vous êtes juste à l'extérieur, sur un minuscule trottoir, devant la porte d'entrée d'un immeuble de six étages, manquant cruellement d'espaces intermédiaires pour se rassembler.

La situation périphérique de la Cathédrale des Sports semble avoir eu le même effet - bien que bénéfique dans ce cas - que celui d’une lande contre la mer. Elle capte et intensifie toute l'énergie cinétique de la zone située à l'est, la comprimant dans un volume compact qui met en relation les corps en mouvement. Le bâtiment démultiplie en plusieurs niveaux la variété des espaces et des lieux qui constituent le glossaire d’une urbanité vivante, générant un ensemble d'expériences exaltantes.

Cathédrale des Sports, Bordeaux, NP2F, 2023.
Cathédrale des Sports, Bordeaux, NP2F, 2023. / © Antoine Espinasseau

Il offre le café, les places, rues et portiques, le jardin et l’impasse ou les escaliers propices à la déambulation, aux rencontres occasionnelles, aux coups d’œil et aux vues, ainsi que les terrasses, les toits, le parc et même le mini-golf que le quartier Brazza semble avoir délibérément oublié d'offrir. La Cathédrale des sports ne souffre pas de la banale dualité entre plein et vide qui sévit dans le reste du quartier parce qu’elle occupe entièrement la forme trapézoïdale de la parcelle qui lui a été attribuée.

En effet, le bâtiment engloutit tout le vide qui lui tombe sous la dent, générant une forme d’hybridité : lorsque l’on se promène dedans, on ne sait jamais vraiment si l'on est à l'intérieur ou à l’extérieur. La Cathédrale des sports peut être décrite comme un échafaudage en béton surdimensionné, dans lequel le passage entre les espaces fermés et protégés et les plateaux à l'air libre se glisse.

Peu importe que son côté nord accueille à terme un parc bien conçu ou non, la Cathédrale des sports est un monde en soi, inconscient de et indifférent à ce qui l'entoure. On y trouve à l’intérieur des surprises inattendues qui, si l’on les regarde bien, se retrouvent également dans le morceau de matières flottantes piégé par les courants marins sous une jetée. Vues, sons, vent et odeurs saturent nos sens. Si l'on lève les yeux pour observer le quartier résidentiel en face, c'est comme si l'on regardait loin dans l'océan : il ne se passe pas grand-chose là-bas, en tout cas rien qui puisse se rapprocher de l'intensité de ce qui nous entoure.

Cathédrale des Sports, Bordeaux, NP2F, 2023.
Cathédrale des Sports, Bordeaux, NP2F, 2023. / © Antoine Espinasseau

La Cathédrale des sports correspond à une typologie plutôt nouvelle : une série d'espaces dédiés aux sports empilés sur six étages, occupant une surface beaucoup plus petite que les terrains qui, habituellement, dans les stades ou dans les installations en plein air, ont tendance à être placés les uns à côté des autres. Sept courts de paddle-tennis et huit courts de squash sont combinés avec un mur d'escalade de 14 mètres de haut, 1.380 m² de gymnases couverts, un minigolf de 9 trous, et un practice équipé de 12 cabines de tir sur le toit. Une grande cafétéria est située au rez-de-chaussée, tandis que les bureaux administratifs et les salles de réunion sont astucieusement insérés dans la structure. Un système constructif extrêmement pragmatique fait de béton banché, de poutres et de dalles préfabriquées offre un principe simple de surfaces horizontales où sont installées les différentes activités. Ces dernières peuvent se dérouler à l'intérieur ou à l'extérieur, ce qui réduit considérablement l'empreinte énergétique du bâtiment et son économie globale, puisque les façades et les cloisons sont soit inexistantes, soit extrêmement simples.

Cathédrale des Sports, Bordeaux, NP2F, 2023.
Cathédrale des Sports, Bordeaux, NP2F, 2023. / © Antoine Espinasseau

Dans cette hybridation entre intérieur et extérieur, les circulations deviennent un facteur prépondérant de l'organisation spatiale : de généreux couloirs, passages ou escaliers permettent de rejoindre les différentes activités. Ils sont souvent astucieusement surdimensionnés, selon un certain flou administratif bien exploité par les concepteurs. En effet, dans l'industrie française du bâtiment, les couloirs, ascenseurs ou tout autre espace « perdu » doivent être calculés au millimètre près pour les logements ou les bureaux, alors que le programme dont nous parlons n'a pas encore de cadre économique et réglementaire clair.

Le bâtiment est une application réussie de concepts qui se sont diffusés dans la culture architecturale contemporaine. Il prend comme base la taxonomie de fonctions apparemment improbables trouvées à l'intérieur de bâtiments similaires dans Made in Tokyo (2001) de l'Atelier Bow Wow. La Cathédrale des sports exploite cette idée au maximum de ses possibilités, et c’est un clin d’œil plaisant : sur le toit, NP2F a placé un practice de golf, activité rare en Europe, qui figure également dans l'une des études de cas les plus importantes du livre de l'Atelier Bow Wow, où le practice est placé cette fois au-dessus d'un parking de taxis.

Cathédrale des Sports, Bordeaux, NP2F, 2023.
Cathédrale des Sports, Bordeaux, NP2F, 2023. / © Antoine Espinasseau

Le choix d'un langage architectural presque brut où le dimensionnement et les proportions sont comme dictés par les volumes requis par chaque sport et où les matériaux et détails sont économiques et pragmatiques s'inscrit dans une lignée fonctionnaliste de l'architecture française, depuis Marcel Lods et Jean Dubuisson, en passant par Jacques Hondelatte et Lacaton & Vassal, et jusqu'aux déclinaisons plus récentes de cette éthique et de cette esthétique par certains confrères de NP2F comme Bruther ou Studio Muoto. En fait, la Cathédrale des sports pourrait être lue comme la très grande cousine du Condensateur public de Studio Muoto pour le campus de Paris-Saclay (2017), où les terrains de sport, les circulations et les espaces publics accessibles sont également empilés à l'intérieur d'un cadre compact en béton.

Le déploiement de la circulation sur toute la hauteur du bâtiment rappelle les chemins piétonniers d'OMA dans l'ambassade des Pays-Bas à Berlin (2003) ou dans le Performance center de Taipei (2022), à la différence que dans ces projets, il s'agit d'un parcours linéaire, alors que dans la Cathédrale des sports, les utilisateurs se voient toujours offrir de nombreux choix. Ils sont confrontés à tout instant au dilemme de savoir quel chemin prendre pour atteindre la destination finale, étant donné que le plan a été conçu de manière à susciter des itinéraires multiples.

Cette offre généreuse de possibilités crée la même richesse d'expériences que ce que l'on peut vivre dans un environnement urbain dense : en parcourant les nombreux escaliers pour arriver à temps au terrain de paddle, on a presque la sensation haptique de se déplacer dans les escaliers publics de Lisbonne, de Hong Kong ou de Valparaiso.

Si l'on y réfléchit, il est assez logique que la circulation soit si importante, souvent marquée de déviations inattendues, parce qu'une vue surprenante ou une tache de lumière vous détournent de votre destination, en fin de compte, on est là pour faire du sport. Un peu de travail cardiaque supplémentaire est plus que bienvenu !

Cathédrale des Sports, Bordeaux, NP2F, 2023.
Cathédrale des Sports, Bordeaux, NP2F, 2023. / © Antoine Espinasseau


Personnellement, je suis le conseil de Winston Churchill : lorsqu'on lui a demandé les raisons de sa longévité, il a répondu qu'il n'avait jamais pratiqué de sport. Je n'en fais pas non plus. Mais comme j'aime marcher, on m'a offert une de ces montres qui mesurent vos pas et votre rythme cardiaque, parce qu'à partir d'un certain âge, si vous ne faites pas d'exercice, votre médecin est content de savoir que vous bougez encore un peu. Même sans utiliser de raquette ni soulever de poids, ma visite à la Cathédrale des sports – en plus de m'offrir d'infinis moments de bonheur architectural – a également contribué à atteindre mes objectifs quotidiens de minutes, de pas et de kilomètres de marche « brûle-graisse ». Et tout cela sans même m'en rendre compte, en me perdant agréablement.

Installation de NP2F dans l'exposition Nouvelles saisons
Installation de NP2F dans l'exposition Nouvelles saisons / © Emmanuelle Maura pour arc en rêve

Ce texte a été rédigé pour un ouvrage consacré à la Cathédrale des Sports de NP2F dont la publication aux éditions Building Books est prévue pour 2026.

Fabrizio Gallanti

Fabrizio Gallanti est architecte, auteur, enseignant et curateur. Il a co-fondé le collectif d'architectes Gruppo A12 et le studio de recherche architecturale Fig-Projects. Il a été rédacteur en chef d’Abitare et a écrit pour A+U, Domus, San Rocco, Clog et The Journal of Architectural Education. Il a enseigné la conception architecturale et la théorie de l'architecture au Canada, au Chili, en Italie, à Hong Kong, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Il est actuellement professeur invité à l'Architectural Association de Londres. Il a été directeur des programmes du Centre Canadien d’Architecture et est aujourd’hui directeur d’arc en rêve.

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