L’exposition salle de classe, architecture de l’adolescence se déploie autour de cinq chapitres : production, corps, assemblée, transgression et profession. Chacun de ces thèmes s'appuie sur un bâtiment emblématique de l'histoire de l'architecture moderne et sur une quinzaine de réalisations ultérieures qui en déclinent les principes fondamentaux. Chaque thème a donné lieu à un film dans l'une des cinq écoles emblématiques, à partir de l'expérience de leurs utilisateurs : les adolescents. À ce témoignage s’ajoute une histoire matérielle de l’évolution de la salle classe. Les éléments tangibles qui composent ce tableau sont de deux ordres : d’une part, la manière dont la culture architecturale enregistre ces événements et, d’autre part, le lien intime qui s’établit entre la subjectivité de ceux qui apprennent et la spatialité par laquelle l’apprentissage s’accomplit.
Production
Les transformations de la vie quotidienne engendrées par la reconstruction d’après-guerre et la croissance démographique ont nécessité une expansion massive du système d’enseignement secondaire. Dans toute l’Europe, les nouvelles écoles deviennent les catalyseurs des efforts visant à réparer les blessures du conflit, répondant en même temps aux attentes d’une société en pleine voie d’urbanisation. Dans la réalisation de ces objectifs autant quantitatifs que qualitatifs, la préfabrication joue un rôle décisif. L’ampleur et l’urgence des chantiers imposent souvent de transposer des solutions de standardisation et de logistique inspirées de la production industrielle à celle des équipements scolaires. On cherche alors à produire des écoles aussi vite que l’on reconstruit les villes détruites?; avec empressement mais surtout avec la conviction que ces nouveaux équipements sont les laboratoires grandeur nature d’un nouveau monde. Ce productivisme appliqué à la création de nouveaux espaces éducatifs donne lieu à des établissements expérimentaux, conçus pour être déclinés de manière systématique.
L’école St Crispin’s de Wokingham, construite en 1953, est un prototype de cette approche, s’appuyant sur la préfabrication et la modularité pour proposer une production en série. Plus qu’un modèle à partir duquel prolifèrent les variations, l’école est une démonstration qu’il est possible de respecter les plafonds de coûts et les délais d’exécution à travers l‘emploi de matériaux industriels. Ses espaces ne sont pas seulement le fruit de méthodes de construction innovantes, ils sont également configurés pour des sociétés en mutation. Cette volonté se traduit notamment par l’ajout d’espaces informels à côté de ceux normés sur le principe de l’apprentissage frontal, la modularité de la structure préfabriquée s’avérant parfaitement capable d’articuler ces deux typologies spatiales. Les salles de classe traditionnelles sont ainsi empilées dans un volume à 4 étages, alors que des espaces de travail plus ouverts, adaptés à l’apprentissage pratique, sont placés au rez-de-chaussée. Soixante-dix ans avant les pédagogies par projet, la disposition ouverte de l’école Saint Crispins apparaît de plus en plus comme un moyen de lier structurellement la formation des jeunes adultes et le monde de la production qui les attend. Si le modèle constructif n’a pas été reconduit comme l’imaginaient ses instigateurs, le principe d’une combinaison entre des modalités d’enseignement frontale et d’autres plus ouvertes est devenu la norme durant la seconde moitié du 20e siècle.
Corps
Le caractère transitoire de l’adolescence, entre enfance et âge adulte, trouve à s’exprimer aussi bien à l’échelle de l’individu qu’à celle des groupes. En tant que processus, il s’applique aussi bien au corps de l’adulte en devenir qu’aux synergies de groupes qui se forment pendant cette période délicate de la vie humaine. L’école peut être ainsi perçue comme l’écosystème accompagnant les corps dans cette transition : de l’immaturité individuelle de l’enfant jusqu’à la constitution du corps social de l’âge adulte.
Le lycée agricole François-Pétrarque d’Avignon est emblématique de ces deux échelles auxquelles le corps adolescent peut être compris. L’ensemble brutaliste, réalisé par Roland Bechmann entre 1964 et 1968, rompt avec les principes du modernisme rigide pour expérimenter une disposition plus organique, en aile de moulin, organisée autour d’un noyau central qui sert de lieu d’accueil. Disposant d’un internat pour les élèves venant de loin, le plan distribue les principales fonctions – classes, réfectoires, unités d’habitation, gymnase et théâtre – en fonction de l’exposition au soleil et aux vents dominants, en l’occurrence le mistral. Dans ce cloître géométrique censé former les agriculteurs de demain, le corps résonne de sa double signification. Il est tout à la fois le corps de l’élève accueilli, nourri, et éduqué pour devenir un adulte mais aussi la composante d’un groupe appelé à se constituer en corps productif au service de l’industrie nourricière des sociétés industrialisées. L’édifice est la matrice de cette double signification. Un petit écosystème au service d’une écologie de la production agricole et de l’aménagement des territoires productifs. Un établissement contenant les germes d’une véritable sensibilité environnementale, où va pouvoir se déployer une nouvelle conception du rapport entre l’aménagement du territoire et la nature.
Assemblée
À l’image conservatrice d’un être pas encore assez mûr pour prendre part aux scrutins et à la vie publique, l’esprit contestataire des années 60 va opposer la figure de l’adolescent militant, foncièrement politique malgré le droit de vote qui lui est refusé. En effet, la seconde moitié du 20e siècle est structurée par des révoltes lycéennes qui tantôt rejoignent des contestations étudiantes plus larges, tantôt les précèdent et les déclenchent. La constitution de l’adolescence en corps politique s’effectue à travers les lieux que fréquentent les lycéens : principalement la rue, mais aussi les espaces de loisirs, de rassemblement, d’apprentissage, et, plus rarement, certains lieux spécifiquement configurés pour accueillir des assemblées discursives et politiques.
L’école Geschwister Scholl de Lünen, achevée en 1962 par Hans Scharoun, dispose d’un auditorium polygonal faisant parti de ces espaces utopiques qui inscrivent un usage démocratique et collectif dans la forme d’un bâtiment. Cet espace en gradin fait bien plus que de disposer les élèves en assemblée. Il les place les uns en face des autres, transformant l’amphithéâtre de l’atrium en un dispositif d’accomplissement et de représentation d’un comportement collectif. L’auditorium est un théâtre de la représentativité pour les individus privés de droits politiques, une école d’action démocratique qui s’inscrit dans la démarche socio-utopique de Hans Scharoun. Cette volonté expérimentale se reflète dans la forme organique du bâtiment, diamétralement opposé à l’école caserne qui étaient encore la norme à l’époque. Les salles de classe aussi rompent avec l’orthogonalité habituelle pour adopter une forme polygonale directement inspirée de leur fonctionnement. Elles deviennent des « appartements de classe » reliées par des « rues d’apprentissage », intégrant des notions d’urbanité et de domesticité dans la vie quotidienne des élèves.
Transgression
L’enseignement artistique peut parfois constituer un contre-champ à l’enseignement conventionnel, celui des disciplines classiques, scientifiques et littéraires. S’il reste minoritaire dans la plupart des cas, les espaces qu’il occupe – ateliers, amphithéâtres, salles de musique – constituent des îlots de liberté et d’expression dans l’écosystème d’apprentissage qu’ils forment avec la majorité des salles de classe conventionnelles. Cette division entre normativité et expressivité est inversée dans certains cas particuliers de groupes scolaires organisés autour des disciplines artistiques.
Des lycées conçus comme des écoles d’art où les disciplines artistiques ont l’ascendant sur le programme pédagogique. Exception dans l’exception, l’enseignement artistique peut constituer dans certains cas une forme de transgression et de désobéissance civique.
Le conservatoire Calouste Gulbenkian d’Aveiro a été construit à la fin des années 1960 par une jeune architecte, Maria Noémia Coutinho. L’éducation artistique était en effet l’un des seuls domaines qui échappaient au contrôle strict du régime dictatorial, qui tolérait des initiatives privées, comme celle de la Fondation Gulbenkian pour financer la construction d’une série de conservatoires. Cet îlot de liberté prend la forme d’un espace d’apprentissage spécifique, aménagé autour d’une atrium généreuse, dotée d’une cheminée. Un petit espace de sociabilité et d’échange, à usage interne, soigneusement placé au cœur du bâtiment, comme pour le protéger de ce qui le menacerait de l’extérieur. À ce jour, le conservatoire d’Aveiro reste un formidable outil capable d’accueillir la pluralité disciplinaire dans une approche structuraliste. Sobre et frugal dans son expression, il garde intact l’esprit d’irrévérence qui a commandée sa réalisation pendant les dernières années du régime de Salazar.
Profession
Le lycée, partagé entre ses deux missions historiques – celle de préparer la transition vers l’enseignement supérieur et celle de produire des jeunes travailleurs adaptés aux évolutions du marché du travail – poursuit sa lente mutation. Il tente d’accompagner les évolutions de la société, comme l’émergence d’une économie numérique, sans toujours prendre le temps de questionner sa forme ou son fonctionnement. Tout en restant fidèle à ses atouts moderniste, il s’efforce d’adapter ses espaces, conçus pour un monde industriel et analogique, à ses nouvelles missions virtuelles.
Le lycée professionnel Jean-Mermoz de Béziers, conçu à la fin des années 1950 par Pierre Jeanneret en collaboration avec Jean Prouvé et Charlotte Perriand, est symptomatique de cette évolution. Ce formidable outil moderniste, parfaitement adapté à une société qui se voulait mécanique et industrialisée, négocie son passage à l’ère numérique. La forme moderniste et ses artefacts, admirablement restaurés, accèdent au rang de patrimoine. Ils perdent ainsi leur caractère utilitaire pour devenir des icônes censées refléter l’excellence de l’institution : brises-soleil, fenêtres pivotantes et autres conceptions deviennent des marqueurs de qualité. Loin de muséifier le bâtiment, cette évolution le projette, au contraire, dans le 21e siècle. C’est en tant que représentation que l’œuvre de Jeanneret trouve une nouvelle fonction dans un corpus éducatif de plus en plus axé sur l’économie virtuelle. Au delà de la qualité de son architecture, cette école est aussi celle où l’on apprend à travailler sur un écran. Une image de référence pour les futurs professionnels des environnements virtuels.